Le grimpion
« L'ambition souvent fait accepter les fonctions les plus
basses ; c'est ainsi que l'on grimpe dans la même posture que l'on rampe. » Jonathan Swift, Thoughts on Various
La terminologie vaudoise, de par son pragmatisme, nous offre cette
perle pour préciser la notion d’arrivisme. Mais la définition du grimpion peut
être affinée.
Au-delà de l’image de l’ascension d’un animal besogneux sur cet
échafaudage hyper réaliste que constituent les appareils d’états et leurs
diverses échelles de salaires. Il faut bien comprendre que cet être improbable
est doté d’un cerveau moteur qui, à l’instar des robots d’Isaac Asimov, aura
intégré trois lois fondamentales, le plus tôt de cette assimilation étant le
mieux.
1 Faire comme on nous dit
de faire
2 Etre dans les meilleurs
rapports possibles avec les supérieurs
3 Ne jamais remettre en
cause une réglementation du service, même si elle est humainement injuste et
stupide. Sauf si elle entrave de quelque manière la loi numéro 2.
Avec cette feuille de route mentale s’ouvrent alors les plus
belles perspectives de progression dans les structures, surtout
administratives.
Mais attention, cher apprenti grimpion, fais gaffe à ne pas entrer
dans un jeu contraire en laissant un peu de ta singularité s’exprimer. Car il y
a dans ces appareils une rigidité qui peut te faire courir un grand risque
psychologique, celui d’une immense déception pour avoir cru en des notions
humaines telles que bon sens, tolérance, compréhension….
Parce que bien sûr, tous les autres membres de la structure en
sont aussi… des grimpions… solidement installés à leurs niveaux, le regard
tourné vers le haut, pas du tout prêts à prendre le moindre risque en faisant
une erreur, c’est-à-dire en « interprétant » tel ou tel règlement.
La forme tue le fond via la quête du
risque zéro…
brrr, j’ai froid.
Ce qui est fort impressionnant c’est de constater combien tout
cela mène à un fonctionnement mécanique. Rapidement le grimpion ne voit plus
que ce qui est dans sa grille de lecture. Tous ce qui sort des balises
règlementaires ou sociétales mainstream disparait. Un peu comme ces indiens
d’Amazonie à qui on a montré un film de New-York et qui, ne pouvant se
raccrocher à rien dans les référents visuels offerts, furent grandement
rassérénés en reconnaissant une poule, unique pont avec leur réalité.
L’auteur de ces lignes, de par son parcours original aura pu
vérifier cette incroyable « fermeture » un grand nombre de fois. Citons deux
exemples, qui pourraient être déclinés en sketches.
Lors de l’élection de la constituante vaudoise, déjà évoquée en
fin de chapitre 1, notre micro parti avait droit à une centaine d’emplacements
pour des affiches au format mondial. Belle occasion de pub que nous n’allions
pas manquer. Mais imprimer pareils supports coutait très cher, surtout pour des
musicos sans le sou. Nous avons donc pris du papier vierge au format adéquat et
avons fait « à la main » ces affiches, c’est-à-dire avec l’utilisation de
sprays et de quelques pochoirs. Inutile de dire qu'il n’y avait pas deux pièces
identiques. Ainsi sur une centaine d’emplacement à Lausanne on put retrouver
les alignements de posters électoraux habituels avec, parmi eux, iconoclastes,
les nôtres.
Résultat notable, les journalistes politiques concernés ne
décryptèrent pas, concluant qu’il devait s’agir d’un taggage nocturne. Nous
étions le parti invisible. Il fallut faire de la pédagogie avec la presse,
insister. La population par contre nous identifia. Comme quoi.
Deuxième exemple d’aveuglement auquel peut se confronter le
pingouin non palmipède helvète. Parlons ici de la FSEA et de l’IFFT, organismes
en partie parallèles, chapeautés par l’OFFT, c’est-à-dire la confédération.
Leurs missions sont nombreuses, mais nous allons nous intéresser ici à la
validation des acquis de l’expérience (VAE) dont ils s’occupent. En bref des
individus avec de longs et riches parcours professionnels, gens du terrain, se
retrouvent évalués par des spécialistes diplômés sortis des écoles. (Arrêtez de
rigoler au fond de la classe !).
Mais attention, ces humanistes, experts pédagogiques
sur-certifiés, spécialistes des normes à faire respecter, veulent des
garanties. C’est-à-dire que le pauvre être un peu exotique qui se retrouve dans
leurs mains devra prouver, en agitant des papiers du genre même que ceux
délivrés par ces instances[1], qu’il a accompli les heures de vols prévues afin de
pouvoir faire valider son expérience. En clair les preuves données doivent être
déjà dans une forme reconnue. Comme chez Kafka : pour entrer dans le château,
il faut déjà être dedans. (Ca suffit au fond !!!)
Ah, et il faut les voir statuer, nos docteurs et autres maitres grimpions, tenants des clefs de la connaissance. Ça ne rigole pas, bien installés, en pleine soviétisation inconsciente, dotés de salaires confortables… Et avec ça piquant la mouche lorsqu’on vient à les mettre en face de leurs contradictions, furieux quand le moustique, affolé par leurs sombres arcanes, vient à bourdonner trop fort. Au secours je suis Suisse… Sortez-moi de là !, telle est la pensée qui vous vient rapidement à leur contact.
Résultat : une inertie
extraordinaire, générée par cette armée de valets (ou grimpions), qui
garantissent la rigidité de la structure en s’occupant principalement de normatif.
Bon courage à celui qui tente d’user de son intelligence dans ce biotope.
« Les gens médiocres arrivent à tout, parce qu'ils
n'inquiètent personne. » Daniel Darc
[1] Ce qui conduit immanquablement à la confection de faux documents pour celui qui veut jouer
ce jeu débile
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire